La sophistication des plats qui ornaient la table du roi lorsqu’il soupait au grand couvert, ou les pyramides de collations offertes aux centaines d’invités des « soirées d’appartement » du château de Versailles, sont autant d’images qui ont marqué l’inconscient collectif, en revanche peu de choses sont connues sur la gestion et le parcours surprenant de ces abondantes denrées, un exemple qui offre pourtant à découvrir une forme ancienne d’économie circulaire, surprenamment proche des solutions du XXIe siècle.
Nourrir tous ceux qui « avaient bouche » au château de Versailles sous l’Ancien Régime – soit plusieurs centaines d’individus – représentait un défi quotidien, tant en termes de gestion des différents corps de métiers, que des stocks de matières premières à prévoir.
Pour limiter les dépenses, les aliments provenaient parfois des Jardins du roi, mais la majorité était achetée par adjudication. Ainsi, des affiches placardées dans la ville annonçaient les besoins du château avec un lieu de rendez-vous, et des producteurs en tout genre venaient y proposer leurs prix les plus serrés dans l’espoir d’être choisis, et de devenir de cette façon « fournisseurs du roi ». Ces aliments étaient ensuite entreposés dans les caves du Grand Commun, moyen naturel de prolonger leur conservation.
Entre 1.500 et 2.000 individus, organisés par spécialité, s’affairaient à préparer les plats et buffets les plus raffinés, en particulier lorsqu’il s’agissait d’orner la table du roi. L’abondance étant avant tout un souci de représentation, il arrivait que des plats pas même goûtés repartent intacts en cuisine. Or, la règle voulait que ce qui avait été présenté à la cour une fois ne pouvait y reparaitre. Que faire alors de toutes ces denrées, encore bonnes à consommer ? C’est à ce stade que les officiers du serdeau prenaient le relais de leur gestion.
Si une partie de ces préparations servait à nourrir des domestiques dont la liste était arrêtée, la majorité des plats était reconditionnée – voire réassaisonnée au besoin – et proposée à la vente dans des baraques de bois que l’on tolérait à proximité du château, et que l’on appelait également « serdeau ». Les prix de ces victuailles au serdeau étaient moins élevés que ceux du marché, ce qui permettait à beaucoup de s’offrir une partie de la desserte royale.
La recette de ces ventes étant intégralement empochée par les officiers du serdeau, ils avaient par conséquent tout intérêt à vendre le plus possible, ce qui appelait parfois à de nouveaux assaisonnements. C’est ainsi que les officiers du serdeau récupéraient une partie de leur investissement financier car devenir officier du serdeau était en fait une charge qui s’achetait fort cher.
Ce système de serdeau réduisait drastiquement les plats appelés à devenir des déchets alimentaires en les reproposant, tout comme plusieurs applications proposent aujourd’hui d’acheter à moindre frais des denrées proches de leur date d’expiration.